Le peau à peau et le portage du bébé prématuré
Avant, je croyais qu'un bébé prématuré c'était un bébé plus petit et fragile. Juste un bébé "normal" en miniature. Je pensais que tout se déroulait de la même façon, avec juste un passage en couveuse au départ, et un peu plus de précautions à prendre.
C'était avant. Avant cette grossesse si particulière, avant que j'expérimente dans ma chair qu'être enceinte ne signifiait pas automatiquement avoir un bébé en vie et en bonne santé dans les bras quelques mois plus tard.
Alors avec ce billet, je souhaite vous faire partager ce que j'ai retiré de cette période, notamment ce qui a trait au peau à peau et au portage.
Les particularités sur le plan physique :
Un petit prématuré naît immature. Selon son terme, son poids et les circonstances qui entourent sa naissance, il lui manque certaines compétences.
Dans les cas les plus critiques, ses constantes vitales (rythme cardiaque, saturation ou taux d'oxygénation du sang, tension, glycémie, température corporelle...) ne sont pas stables. Il est incapable de se nourrir seul. Le pronostic vital peut être engagé, la crainte de séquelle ultérieures est forte. Le bébé est branché de partout avec des tas de capteurs, il ne respire pas de façon autonome. Il est nourri par perfusion et/ou sonde. On limite les manipulations au maximum, pour ne pas le fatiguer, pour ne pas risquer une désaturation ou une bradychardie.
Au fur et à mesure que les semaines passent, ses constantes se stabilisent. Les bradycardies se font plus rares, ainsi que les désaturations. De simples lunettes d'oxygènes peuvent remplacer l'intubation ou le masque. Le bébé peut commencer à se nourrir par voie orale, au moins partiellement, ou alors lécher à défaut d'entamer de véritables mouvements de succions. La synchronisation oro-motrice se met en place.
Dès que les constantes vitales sont stables, il est possible de commencer le peau à peau.
Bien sûr, il y a encore les capteurs, les fils et les électrodes. Les tours de soins qui reviennent toutes les 3 h. La peau du bébé est si fine qu'elle se blesse par simple frottement, le bébé se fatigue très vite. Juste le fait de le sortir de sa couveuse pour l'installer en peau à peau peut le mettre tellement à plat que les séances ne sont pas possibles tous les jours.
Mais chaque jour s'accompagne de progrès, les compétences s'affirment.
Et un jour, le bébé peut s'habiller, il sort de couveuse. Il peut se passer de la sonde de gavage car il est capable de prendre sa ration complète par lui-même. Il peut se passer des toutes ces électrodes.
Un jour, il est auto-suffisant, il n'est plus en danger.
Les particularités sur le plan émotionnel :
Evidemment, accompagner son enfant sur ce difficile chemin ne se fait pas sans heurts.
Souvent, avant même la naissance, les parents sont fragilisés par l'angoisse. Parce qu'il y avait des complications pendant la grossesse, parce qu'il y avait un risque particulier. Très anxieux et vulnérables, ou alors sidérés par une naissance qu'ils n'ont pas vue venir, ils peuvent porter une grande culpabilité.
Si la naissance s'est déroulée dans un contexte très médicalisé, d'urgence, avec un départ du bébé en service de néonatologie immédiat, avant même que ses parents aient pu le voir, celà ajoute encore au traumatisme.
On sait que les premiers instants jouent un rôle déterminant dans la facilité de création du lien parent-enfant. Ce lien peut être sérieusement mis à mal dans le cadre d'une naissance prématurée.
Du point de vue de la maman, la situation peut-être la suivante : elle culpabilise énormément de n'avoir pu offrir à son bébé 9 mois au chaud. Elle voit une brigade de blouses blanches s'affairer autour d'un bunker de plexiglas dont sortent plein de fils reliés à des moniteurs et des alarmes. C'est à la fois l'effervescence, très technique, et à la fois incroyablement long. Elle se sent en trop. Toutes ces personnes savent bien mieux qu'elle ce qu'il faut faire pour ce bébé qu'elle n'a même pas le droit de prendre dans ses bras. Concrètement, qu'est-ce que ça signifie être maman à part s'inquiéter et craindre pour la vie de cette petite chose si fragile?
Et puis parfois elle souffre elle-même dans son corps, ne se trouve pas forcément en pleine possession de ses moyens.
C'est si difficile de prendre sa place! les protocoles ne le permettent pas facilement. Et puis il y a les résistances personnelles aussi. Déjà se convaincre que l'on peut être utile à ce bébé. Que l'on est nécessaire. Et oser. Oser le regarder, oser le toucher. Oser être là pour lui. C'est dangereux. Car s'impliquer c'est risquer de souffrir. Et s'il arrivait encore quelquechose à ce bébé? mieux vaut garder ses distances, en attendant de sortir de la zone rouge.
Bien sûr, tout ceci se joue de façon très inconsciente. Néanmoins la souffrance est très souvent présente. Elle perdure bien au-delà de la sortie de soins intensifs, bien au-delà du retour à la maison.
Il me souvient très clairement d'une nuit, mes puces avaient 9 mois. L'une d'entre elles me réclamait comme tellement souvent. Et là, pendant cette tétée nocturne, elle m'a fait un calin si fort, si serré...c'était quelques jours après une séance d'haptonomie post-natale où elle avait rampé tel un nouveau-né sur mon ventre pour monter à mon sein. Elle avait vécu cet épisode qu'elle n'avait jamais pu connaitre à cause de cette césarienne en urgence et l'extraction vers la couveuse si immédiate, nous privant du moindre contact initial. C'était comme un manque qu'elle comblait enfin, un manque qui l'avait jusque là empêché d'évoluer. Je me suis rendu compte que jamais encore nous n'avions été proches de cette façon, malgré les heures de portage et de peau à peau que nous avions partagé depuis sa naissance. Je me suis rendu compte que malgré tous les soins et les calins que je lui prodiguais, jamais je n'avais osé aller à sa rencontre aussi complètement. Alors, dans le secret de cette nuit, je l'ai accueillie comme ma fille, elle m'a accueillie comme sa maman. 2 ou 3 nuits d'affilée, elle m'a fait ces calins si intenses que jamais je n'ai connus avec ses frères et soeurs. Et puis c'est passé. Elle avait eu ce qu'elle recherchait. Et j'avais enfin pris ma place. J'avais dit OUI.
Oui elle était dans le monde des vivants. Oui c'était fini tout ça, oui j'étais sa maman.
Tout ça pour dire que proposer une séance de peau à peau à une maman d'un enfant prématuré, ça n'a rien d'évident. Il se joue une foule de choses intimement liées à l'histoire de chacun, dont nous ne connaissons que l'infime partie émergée.
Ne pas juger les réticences, ne pas forcer. Ne pas toucher à la place de l'autre.
Juste accueillir, proposer, accompagner.
En même temps, la prématurité offre aussi un inestimable cadeau : elle permet de mesurer la chance s'être ensemble, de savourer ce que signifie être là, en bonne santé. Celà confère une très grande force.
Sur le plan pratique :
Il est possible de faire du peau à peau avec un bébé prématuré dès lors qu'il a un rythme cardiaque et une respiration stables. Comme il se fatigue très vite, on essaye de limiter les manipulations au maximum. Juste le couvrir avec un tissu lorsqu'il est sur le buste du porteur, ou alors le glisser dans un T-shirt ou un bandeau élastique en faisant attention aux fils et électrodes.
On fera aussi attention à ne pas frotter de tissu contre la peau du bébé, et à ne pas le blesser avec d'éventuelles coutures.
Après le retour à la maison, on peut continuer le peau à peau. Mes puces ont aimé venir directement dans le T-shirt jusqu'au moment de leur terme environ .
Attention, je le répète car ça ne se voit pas très bien sur la dernière photo, il est extrêmement important de bien veiller à ce que les voies respiratoires du bébé restent dégagées.